Everyone is moving to Berlin…

Je ne voulais pas venir à Berlin.

L’Allemagne ? Ça ne me disait absolument rien. Après dix ans à étudier la langue de Goethe et à buter désespérément sur tous les mots, toutes les déclinaisons, à discuter mollement 15ème anniversaire de la chute du mur, écologie, énergie nucléaire et communistes, mon vocabulaire comme mon enthousiasme envers nos chers voisins teutons rétaient désespérément limités.

Ajoutez à cela plusieurs mois de galère pour trouver un stage mal payé, un bras de fer sans merci avec mon école de commerce pour échapper à ces six mois obligatoires à l’étranger et une situation sentimentale très compliquée, et vous aurez un idée de mon état de déprime avancée lors de mon arrivée dans la capitale allemande, il y a trois mois.

Il faisait gris, il faisait froid, j’étais seule, loin de mes amis, de mon confort, de ma famille et j’avais trois jours pour trouver un appartement et me préparer à débuter mon expérience professionnelle en territoire hostile. Autant vous dire qu’en de telles dispositions et en bonne amoureuse des jolies choses, des boutiques Ladurée, de la beauté Haussmannienne et romantique de Paris ou des mignonnes petites villes médiévales, mon premier regard sur cette ville moderne et grise en plein milieu de l’hiver a été sans pitié.

Jugement premier de la française morose et déboussolée : cette ville est hideuse et inintéressante, et ces mois vont être les plus longs de ma vie.

En effet, si vous êtes amenés à découvrir Berlin au milieu de l’hiver, armez-vous en premier lieu d’une épaisse couche de vêtements chauds (très prisés ici cet hiver : le combo legging en laine « flocon de neige » branché + grosse doudoune) et en second lieu d’une solide ouverture esprit car il est facile de passer à côté de l’intérêt de la ville.

Au premier abord, les grandes avenues communistes austères de l’Est, la géométrie moderne de la plupart des quartiers de l’Ouest, les prostituées Ukrainiennes de seize ans au bord des avenues, les pseudos avenues Hausmaniennes bondées de touristes d’Unter den Liden et de Kürfudstendamm, le gras des Currywurst et les cars de britanniques drogués venant s’enfermer pendant trois jours et se mettre la mine de leur vie au sacro-saint Berghain peuvent laisser… perplexe.

Berlin me semblait apocalyptique et je serais les dents en rêvant d’un aller simple Easyjet vers Paris.

Ma curiosité et mon ouverture naturelles avaient été parasités, mon enthousiasme et mon courage étouffés par le confort anesthésiant d’une relation devenue insidieusement toxique. Livrée à moi-même, ma personnalité a cependant petit à petit repris le dessus, et j’ai fini par aborder plus positivement mon expérience, ce qui m’a permis d’apprivoiser et finalement véritablement apprécier cette ville qui ne me semblait pas faite pour moi au premier abord.

Décidant de faire contre « mauvaise fortune » bon cœur, j’ai fini par entamer une analyse studieuse de cette ville dans laquelle je me retrouvais parachutée par la force des choses. Les guides et internet me parlaient des fragments du Mur, d’une ville six fois plus étendue que Paris, de Currywurst, de clubs sado-masochistes, de musique électro et d’ectasy, et surtout, d’une ville en changement perpétuel. Les allemands que je rencontrais semblaient globalement étonnés d’entendre que j’étais d’avantage ici par défaut que par choix, alors que comme le dit le fameux morceau : « Everyone is moving to Berlin ».

« Tiens, tu n’es pas ici pour travailler sur « un projet » hypsterico-artistique ? », s’étonna, un soir, un jeune et charmant ami de ma colloc’, avec une amertume et une ironie qui finiraient par ne plus me surprendre.

Au bout de quelques discussions et de quelques lectures, je découvrais, la controverse hype au centre de laquelle la ville semble se tenir et que j’étais apparemment la seule à ignorer. Au cas où vous seriez aussi perdus que moi, faisons rapidement le tour de la situation.

D’un côté, une pléthore d’indices et de témoignages désignent la ville comme « The place to be ». Durant les deux dernières décennies, les jeunes artistes à l’âme bohème et sans le sous ont accouru de toute l’Europe afin de profiter de l’effervescence créative d’une grande capitale européenne à prix réduits. Berlin a ainsi été le théâtre de la créativité déchainée de toute une génération d’artistes complètement barrés et s’est construit la réputation d’une ville « pauvre mais sexy » d’après les célèbres mots (soigneusement marketés !) de l’édile local.

Les traces de ce déploiement de grand nawak artistique se dévoilent rapidement à qui explore un peu. Le street art a envahi la ville, de petites pépites étonnantes de design se découvrent un peu partout pour peu qu’on prenne la peine d’ouvrir un peu les yeux, les quartiers de Kreuzberg et de Friedrischain fourmillent d’activité et de bars alternatifs. Des étrangers venus du monde entier se retrouvent dans les sous-sols des librairies pour des dîners à la cool, dans les immenses parcs, dans les Biergarten improvisés au bord de la Spree ou sur la pelouse de Mauerpark, et tout ce petit monde échange et festoie joyeusement, de vernissages en happenings. Pour oublier la précarité généralisée et la crise économique ? Mais c’est une autre histoire…

Mais en même temps, rien de plus simple que de recueillir les témoignages à la pelle de Berlinois blasés affirmant que tout est déjà terminé ma pauvre dame, que la hipe est déjà ailleurs, que l’âge d’or artistique de Berlin est révolu, que la ville est gangrenée de touristes, que les prix explosent à cause des bobos et des hipsters. Combien de fois ai-je entendu et lu que les anciens artistes ont vieilli, ont pris de la côte et sont à présent suffisamment riches pour installer leur jeunes chérubins dans les immeubles remis à neufs de Prenzlauer Berg et transformer les anciens quartiers alternatifs en zones résidentielles et les squats d’artistes en hôtels proprets ? Symboles de ce rêve tué dans l’œuf : l’emblématique squat d’artiste Tacheles et le mythique Club 54, repère hippie symbole de la liberté berlinoise sans limites, tous deux contraints à la fermeture…

Cette controverse me semble à la fois le reflet d’une réalité socio-économique indéniable et d’un certain snobisme de toute façon inhérent au milieu artistique. Je vous invite pour autant à ne pas vous laisser décourager par les discours blasés des toujours-plus-avant-gardistes. La ville reste passionnante. Peut-être qu’il faut ne pas être une artiste venue à Berlin pour chercher l’inspiration pour la trouver au détour de rencontres inattendues.

Sans doute l’avenir s’écrit-il déjà ailleurs mais peu m’importe, il reste encore ici beaucoup de personnes incroyables à rencontrer et d’expériences inimaginables ailleurs à vivre.  Ici, vous verrez encore une fresque murale gigantesque sur un immeuble désaffecté, et là un aquarium géant en plein milieu d’un hôtel. Vous pourrez avoir des conversations épiques avec des Portugais, des Anglais, des Allemands, des Espagnols et des Grecs, parce que tout le monde parle ce mélange de globish et d’allemand teinté de bière qui donne à tout le monde l’impression de se comprendre. Vous mangerez au restau tous les midis même avec un salaire de misère et ferez les courses pour deux semaines pour 15€ au Netto. Et vous ferez la fête à l’allemande : en jean et les cheveux salles, parce ce qui compte c’est de s’amuser et non pas de se montrer (il parait) !

Comptez évidemment sur moi pour ajouter de nombreuses lignes à cette liste !

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